Page:Daudet - Jack, II.djvu/288

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tenue circulaient autour de la musique, pendant que là-haut, sur ce qu’il restait des vieilles buttes, parmi la verdure pelée et le sol d’ocre rouge, des familles d’ouvriers, dispersées comme un grand troupeau aux flancs du mont, couraient, se vautraient, faisaient des glissades, enlevaient de grands cerfs-volants, avec des cris jetés dans un air extrêmement sonore, au-dessus de la tête des promeneurs. Chose étrange, ce square magnifique disposé en plein quartier ouvrier, une flatterie de l’empire aux habitants de La Villette et de Belleville, leur semblait trop soigné, trop ratissé ; et ils le délaissaient pour leurs anciennes buttes plus accidentées, plus campagnardes. Ida regardait ces jeux non sans un certain dédain, et, là encore, son attitude, l’alanguissement de sa tête sur sa main ouverte, les arabesques de son ombrelle sur le sable, tout disait : « Que je m’ennuie ! » Jack se sentait bien insuffisant devant cette mélancolie persistante ; il aurait voulu connaître quelque honnête famille pas trop vulgaire, où sa mère eût trouvé des femmes à qui confier toutes les puérilités de son esprit. Une fois il crut avoir rencontré ce qu’il cherchait. C’était justement dans le jardin des Buttes-Chaumont, un dimanche. Devant eux marchait un vieux bonhomme de tournure rustique, voûté, en veste brune, escorté de deux petits enfants vers lesquels il se penchait de cet air d’intérêt, de patience inaltérable qu’ont seulement les grands-pères.