Page:Daudet - Jack, II.djvu/321

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— Non, mon ami, je l’ai laissée… là-bas… où nous étions. Elle y restera quelque temps.

— Longtemps ?

— Oui, très longtemps.

— C’est donc… C’est donc qu’elle ne veut plus de moi, monsieur Rivals ?

Le docteur ne répondit pas. Jack s’assit sur un banc pour ne pas tomber. C’était au fond du jardin. Autour de lui un temps doux et clair de novembre, la rosée blanche étendue sur le sol, cette gaze flottante voilant un soleil de la Saint-Martin, lui rappelaient la journée du Coudray, la vendange, le coteau dominant la Seine et leur premier balbutiement d’amour tombé ce jour-là dans la grande nature, comme le cri timide d’un oiseau qui prend son vol pour la première fois. Quel anniversaire !… Au bout d’un instant de silence, le docteur lui posa paternellement la main sur l’épaule :

— Jack, ne te désole pas trop… Elle peut encore changer d’idée… Elle est si jeune ! Ce n’est peut-être qu’un caprice.

— Non, monsieur Rivals, vous le savez bien, Cécile n’a pas de caprice… Ce serait trop horrible, un coup de couteau en plein dans le cœur pour un caprice… Mais non. Je suis sûr qu’elle a longuement réfléchi avant de prendre cette résolution, et qu’il a dû lui en coûter beaucoup. Elle savait ce que son amour était dans ma vie, et qu’en l’en arrachant, toute ma vie s’en irait avec. Si donc elle a fait cela, c’est qu’elle a cru de