Page:Daudet - Jack, II.djvu/54

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agrandira, mes yeux ; et dame ! depuis hier je ne fais que ça, une vraie Madeleine… Et mon petit Mangin qui est un si joli homme ! Il fallait vraiment une dot comme la mienne pour le faire passer sur tous mes défauts. Les jalouses me le disaient bien : « C’est pour ton argent qu’il te demande… » Comme si je ne le savais pas. Eh bien, oui, c’était mon argent qui lui plaisait, c’était mon argent qu’il voulait, mais je l’aimais, moi. Et je pensais : « Quand je serai sa femme, je le forcerai bien à m’aimer, lui aussi… » Mais, maintenant, vous comprenez, mon petit Jack, ça n’est plus du tout la même chose. Ce n’est pas pour les mille francs qui restent au fond de ma cassette que l’on s’embarrasse d’une créature aussi laide que moi. Déjà quand le père Roudic ne voulait donner que quatre mille francs, M. Mangin avait bien dit qu’à ce prix-là il préférait rester garçon. Aussi il me semble que je le vois, ce soir quand il rentrera, comme il va tortiller sa petite moustache et me tourner gentiment son compliment d’adieu. Oh ! je lui épargnerai cette peine, bien sûr ; c’est moi qui la première lui rendrai sa parole… seulement… seulement… avant de renoncer à tout mon bonheur, j’ai voulu venir vous trouver et causer un peu avec vous, Jack.

Jack avait baissé la tête. Il pleurait. Si jeune qu’il fût, il comprenait quelle humiliation de toute la femme il y avait dans cet aveu naïf que Zénaïde lui faisait de sa laideur. Et puis c’était si touchant cette