Page:Daudet - Jack, II.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’apprendra à être si bon… Me voilà avec une belle affaire.

La mère songeait.

— Il me faut cet argent avant trois jours pour que mon enfant n’aille pas en prison.

Il l’épiait, il la devinait ; et, par prudence, pour l’empêcher de rien demander, il prit les devants :

— Dire qu’il n’y a pas moyen d’éviter ce déshonneur, d’arracher ce malheureux à sa condamnation… Nous ne sommes pas assez riches.

— Oh ! si tu voulais, dit-elle en baissant la tête.

Il crut que c’était la demande d’argent qui arrivait, et cette insistance le mit en colère :

— Parbleu, oui, si je voulais ! Je m’attendais à cette phrase-là… Comme si tu ne savais pas mieux que personne tout ce que l’on dépense ici, et de quel épouvantable gâchis je suis entouré. Ainsi ce n’est pas assez d’avoir eu pendant deux ans ce méchant drôle à ma charge. Il faudrait encore payer ses vols. Six mille francs ! Mais où veux-tu que je les prenne ?

— Oh ! je le sais bien… aussi n’est-ce pas à toi que j’avais pensé.

— Pas à moi !… À qui alors ?

Confuse, la tête basse, elle nomma l’homme avec qui elle avait longtemps vécu, le « bon ami » de Jack, celui qu’elle appelait « un vieil ami. » Elle prononça ce nom en tremblant, s’attendant à quelque explosion jalouse du poëte à propos de ce passé qu’elle rappelait