Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/129

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qu’il appelait son garçon, un nom un peu jeunet pour la face tannée, crevassée, les rides malicieuses de ce vieux marinier de Seine-et-Oise, tordu par les rhumatismes et marchant de biais à la façon d’un crabe. Le vieux grogna quelques mots de bienvenue qui semblaient sortir d’un cuveau de vendange ; on ne l’écouta pas longtemps.

Romain, lui, et c’était là le trait décisif de cette figure d’ancien matelot, ne buvait jamais une goutte de vin ni d’eau-de-vie. Jeune homme, il avait été pourtant, comme il disait, non sans orgueil, « le plus grand soûlaud de la flotte » ; mais ayant cogné le capitaine d’armes, un jour de ribotte, et risqué le conseil de guerre avec tout ce qui s’ensuit, il fit le serment de ne plus boire et se tint parole malgré les plaisanteries de son escouade, les paris, les tentations. À présent, rien que la vue d’un verre de vin lui retournait l’estomac ; en revanche, il avait pris le goût des douceurs, des cafés au lait, bavaroises, sirops d’orgeat. Et ce n’était vraiment pas de chance pour lui d’être tombé sur un compagnon toujours dans les vignes.

« Mais qu’est-ce que vous voulez ?… » disait