Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/110

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semblait très animé, agitant sa canne, penchant sa taille vers la face du petit être très calme au contraire, l’air réfléchi, ses deux grandes mains en arrière croisées sous sa bosse.

« Il travaille donc pour l’Institut, cet avorton ? » demanda Freydet qui se rappelait maintenant ce nom de Fage prononcé par son maître. Védrine ne répondit pas, attentif à la mimique des deux hommes dont la discussion venait de s’interrompre brusquement, le bossu rentrant chez lui avec un geste de dire : « Comme vous voudrez… » tandis qu’Astier-Réhu gagnait à grands pas furieux la sortie du palais vers la rue de Lille, puis, hésitant, revenait vers la boutique dont la porte se refermait sur lui.

« C’est drôle, murmurait le sculpteur… Pourquoi Fage ne m’a-t-il jamais dit ?… Quel abîme, ce petit homme !… Après tout, peut-être font-ils leurs farces ensemble… la chasse à l’in-douze et à l’in-octavo.

— Oh ! Védrine. »

Freydet, sa visite faite, remontait lentement le quai d’Orsay, songeant à son livre, à ses ambitions académiques, fortement secouées par les rudes vérités qu’il venait d’entendre. Comme on change peu, tout de même ! Comme on est de bonne heure ce qu’on sera !… À vingt-cinq ans de distance, sous les rides, les poils gris, tous les