Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’écran de soie verte qui masquait l’intérieur, le profil de l’archiviste-paléographe, l’homme à qui elle aurait à faire. Une appréhension lui venait à la dernière minute : pourvu qu’il fût là, seulement !

L’idée que son Paul attendait la fit entrer enfin dans le noir, le renfermé poussiéreux de la boutique, et, sitôt introduite vers un second petit cabinet au fond, elle entreprit d’expliquer à M. Bos, un gros rouge ébouriffé, tête d’orateur de réunions publiques, leur détresse momentanée et comment son mari n’avait pu se décider à venir lui-même. Il ne la laissa pas mentir toute son histoire : « Mais comment donc, madame ! » Tout de suite, un chèque sur le Crédit Lyonnais, et des égards, des saluts de reconduite jusqu’au fiacre.

« Une femme bien distinguée, » pensait-il, enchanté de son acquisition ; et elle, en dépliant le chèque glissé dans son gant, relisant le bienheureux chiffre, songeait : « Quel homme charmant ! » Du reste, nul remords, pas même ce petit sursaut de la mauvaise action accomplie ; la femme ne connaît pas ces choses-là. Toute à son désir de l’heure présente, elle a des œillères naturelles qui l’empêchent de voir autour d’elle, lui épargnent les réflexions dont l’homme encombre ses actes décisifs. De temps en temps, celle-ci pensait