Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/151

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profiter de cette visite de Colette longtemps attendue, longtemps remise, comme si, malgré sa curiosité de connaître l’installation du jeune homme, la princesse avait eu peur d’un tête-à-tête, plus complet là que dans son propre hôtel ou dans son coupé, sous la surveillance de la livrée toujours présente. Non qu’il eût montré trop de hardiesse ; frôleur, enveloppant, c’est tout ce qu’on pouvait dire. Mais elle se redoutait elle-même, donnant en cela raison à ce jeune impertinent qui, très adroit stratége en amour, l’avait à première vue classée dans la catégorie des villes ouvertes. Il désignait ainsi les mondaines très défendues et bastionnées en apparence, gardées d’amont et d’aval, par le fleuve et par la montagne, haut perchées, inattaquables, et qui en réalité s’enlèvent d’un coup de main. Cette fois pourtant, son intention n’était pas de donner l’assaut ; quelques approches un peu vives, une heure ou deux de pressant flirtage, assez pour marquer la femme à sa griffe sans l’humilier, le congé du mort signifié positivement, puis le mariage et les trente millions. Voilà le rêve heureux que Mme Astier avait interrompu et qu’il reprenait à la même table, dans la même pose méditative, quand un nouveau coup de timbre remplit tout l’hôtel. Des pourparlers, des retards. Paul ouvrit sa porte impatienté : « Qu’est-ce que c’est ? »