Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/159

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mêlant leur arome à celui plus fort des ifs et des buis, de la terre mouillée s’évaporant au soleil et aussi à une autre odeur, âcre, fade, pénétrante, qu’elle connaissait bien, mais qui, ce jour-là, ne l’écœurait pas comme ordinairement, la grisait plutôt.

Tout à coup, elle frissonna. Sa main sur le bras du jeune homme, il venait de la saisir dans la sienne, brusquement, et il la serrait, l’étreignait comme un corps de femme, cette petite main qui n’avait pas le courage de s’en aller. Il cherchait à en écarter les doigts menus pour les croiser aux siens, y entrer, l’avoir toute ; mais la main résistait, se contractait sous le gant : « Non, non… jamais ! » et pendant ce temps, ils continuaient à marcher, l’un près de l’autre, sans parler, sans se regarder, très émus, car tout est relatif dans la volupté et c’est la résistance qui fait le désir. Enfin, elle se donna, s’ouvrit, cette petite main serrée, et leurs doigts se crochèrent à écarteler leurs gants ; une minute délicieuse de plein aveu, de possession complète. Mais, tout de suite, l’orgueil de la femme se réveilla. Elle voulut parler, prouver qu’elle restait intacte, que cela se passait loin d’elle, même qu’elle l’ignorait parfaitement, et ne trouvant rien à dire, elle lisait tout haut l’épitaphe d’une tombe à plat dans les ronces : « Augusta, 1847, » et lui, haletant, murmurait :