Page:Daudet - L’Immortel (Lemerre 1890).djvu/329

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debout et immobiles, évitant de se regarder entre eux, ils écoutaient dans la stupeur.

« Lirai-je la lettre aussi ?… » Picheral souriait, s’amusait beaucoup.

« La lettre aussi… » dit Épinchard. Mais des les premières phrases, on cria : « Assez… assez… cela suffit… » Ils en rougissaient maintenant, de cette épître de Rotrou dont l’imposture crevait les yeux. Un pastiche d’écolier, tournures impropres, la moitié des mots ignorés de ce temps-là. Quel aveuglement ! comment avaient-ils pu ?…

« Vous voyez donc, messieurs, que nous serions mal venus à accabler notre infortuné collègue… reprit Épinchard ; et tourné vers le secrétaire perpétuel, il l’adjura de renoncer au scandale d’un procès dont la Compagnie tout entière et le grand cardinal lui-même seraient atteints.

Mais ni la chaleur de l’apostrophe, ni l’ampleur oratoire du geste vers le camail du cardinal-fondateur ne vinrent à bout du farouche entêtement d’Astier-Réhu qui, ferme et droit devant la petite table servant de tribune au milieu de la salle pour les lectures et communications, les poings serrés comme s’il avait peur qu’on lui arrachât sa volonté des mains, affirmait que « rien ! entendez-vous, rien » n’entamerait sa résolution. Et ses gros doigts fermés sonnant avec colère sur le bois dur : « Ah ! messieurs, j’ai déjà trop attendu, trop cédé