Page:Daudet - Le Nabab, Charpentier, 1878.djvu/300

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Puis ils entraient, le claque sous le bras, avec cet air vainqueur des hommes mariés que leurs épouses n’accompagnent pas.

Quel était donc ce journal, cet article terrible qui menaçait à ce point l’influence d’un homme si riche ? Malheureusement mon service me retenait ; je ne pouvais descendre à l’office ni au vestiaire pour m’informer, causer avec ces cochers, ces valets, ces chasseurs que je voyais debout au pied de l’escalier s’amusant à brocarder les gens qui montaient… Qu’est-ce que vous voulez ? Les maîtres sont trop esbroufeurs aussi. Comment ne pas rire en voyant passer, l’air insolent et le ventre creux, le marquis et la marquise de Bois-Landry, après tout ce qu’on nous a conté sur les trafics de monsieur et les toilettes de madame ? Et le ménage Jenkins si tendre, si uni, le docteur attentionné mettant à sa dame une dentelle sur les épaules de peur qu’elle s’enrhume dans l’escalier ; elle souriante et attifée, tout en velours, long comme cela de traîne, s’appuyant au bras de son mari de l’air de dire : « Comme je suis bien », quand je sais, moi, que depuis la mort de l’Irlandaise, sa vraie légitime, le docteur médite de se débarrasser de son vieux crampon pour pouvoir épouser une jeunesse, et que le vieux crampon passe les nuits à se désoler, à ronger de larmes ce qu’il lui reste de beauté.

Le plaisant, c’est que pas une de ces personnes ne se doutait des bons quolibets, des blagues qu’on leur crachait dans le dos au passage, de ce que la queue des robes ramassait de saletés sur le tapis du vestibule, et tout ce monde-là vous avait des mines dédaigneuses à mourir de rire.

Les deux dames que je viens de nommer, l’épouse du