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studieuse et généreuse, véritables écoles d’opposition ou plutôt de résistance légale, demeuraient les seuls endroits où pouvait encore se faire entendre une voix libre. Chacun d’eux avait son orateur attitré, une table qui, à de certains moments, devenait presque une tribune, et chaque orateur, dans le quartier, ses admirateurs et ses partisans.

« Au Voltaire, il y a Larmina qui est fort… Bigre ! Qu’il est fort, le Larmina du Voltaire !…

— Je ne dis pas, mais au Procope, Pesquidoux est encore plus fort que lui. »

Et l’on allait par bande, en pèlerinage, au Voltaire entendre Larmina, puis au Procope entendre Pesquidoux avec la foi naïve, ardente des vingt ans de cette époque-là. En somme ces discussions autour d’un bock, dans la fumée des pipes, préparaient une génération et tenaient en éveil cette France qu’on croyait définitivement chloroformisée. Plus d’un doctrinaire[1] qui, au-

  1. Écrit en 1878, pour le Nouveau Temps, de Saint-Pétersbourg.