Page:Daudet - Théâtre, Lemerre, 1889.djvu/29

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doute. « … Mort depuis déjà deux mois, ce qui vous « explique, Madame, comment, en notre qualité de chargés de la liquidation du défunt, nous avons cru devoir ouvrir le paquet et décacheter votre lettre, pour savoir en quel endroit nous devions renvoyer l’un et l’autre. Veuillez agréer, Madame, nos salutations empressées et compter sur notre discrétion la plus complète. Ivanof, Dimitry et Cie, chargés de la liquidation Léopold. » Que veulent-ils dire, ces imbéciles, avec leur discrétion ? quelque formule moscovite, sans doute, aussi insignifiante que les autres. Mon Léopold ! Moi qui m’attendais tous les jours à le voir apparaître, des regrets, des excuses sur les lèvres, des histoires plein la cervelle. Mort ! il est mort ! (Moment de silence. Il prend machinalement la lettre de sa femme.) Voyons ce que Gertrude lui écrivait. (Il ouvre la lettre avec lenteur, en s’essuyant les yeux.) « Merci, Léopold, pour votre parole loyalement tenue ; merci pour votre courage à nous quitter ; merci pour votre silence. » Ah çà ! mais c’est pourtant bien son écriture, oui, parbleu, il n’y a que Gertrude pour barrer ses T comme cela… Que lui chante-t-elle donc ? elle le remercie de s’en être allé et de n’avoir pas répondu à mes lettres ? C’est inouï ! « Depuis le jour où je fus assez forte « pour vous renvoyer et pour rompre les liens criminels qui nous unissaient. » Miséricorde ! qu’est-ce qui me tombe là ? Allons ! allons ! j’aurai mal vu… (Il se lève et passe.) Ces choses-là n’arrivent pas, c’est impossible ! Gertrude m’expliquera tout en deux mots. « Pourquoi je vous écris aujourd’hui après ce silence de huit années, l’envoi dont j’accompagne ma lettre doit vous le dire assez. Oui, votre portrait, Léopold, votre portrait dont