Page:Daudet - Théâtre, Lemerre, 1889.djvu/380

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rose.

Mais non, ma chérie, tu n’es pas laide, seulement tu es triste, et les hommes n’aiment pas cela. Pour leur plaire, il faut rire, faire voir ses dents. Et les tiennes sont si jolies !

vivette.

J’aurais beau rire, il ne me regardera pas plus que quand je pleure. Ah ! marraine, vous qui êtes si belle et qu’on a tant aimée, dites-moi comme il faut faire pour que celui qu’on aime nous regarde et que notre visage lui inspire de l’amour…

rose.

Mets-toi là. Je vais te le dire. D’abord, il faut se croire belle, c’est les trois quarts de la beauté… Toi, on dirait que tu as honte de toi-même. Tu caches tout ce que tu as… Tes cheveux, on ne les voit pas. Attache donc ton ruban plus en arrière. Ouvre un peu ce fichu, à l’Arlésienne, là… qu’il n’ait pas l’air de tenir sur l’épaule. (Elle l’attife tout en parlant.)

vivette.

Vous perdez votre peine, allez, marraine… Je suis sûre qu’il ne voudra pas de moi.

rose.

Qu’en sais-tu ? Lui as-tu dit seulement que tu l’aimais ?… Comment veux-tu qu’il le devine ? Je sais bien comme tu fais ; quand il est là, tu trembles, tu baisses les yeux. Il faut les lever, au contraire, et les mettre hardiment dans les siens. C’est avec leurs yeux que les femmes parlent aux hommes.