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LE MYSTÈRE DES MILLE-ÎLES


La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée…

Ô bien-aimée.

L’étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure…

Rêvons : c’est l’heure.

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l’astre irise…

C’est l’heure exquise.


On s’installa enfin commodément et M. Legault s’écria :

— Mon conte ! je veux mon conte !

Paul Aubin répondit :

— Je l’ai promis ; je vais m’exécuter. Mais, de nouveau, je tiens à vous prévenir que mon histoire n’a pas le même intérêt sentimental que les deux qu’on nous a racontées cet après-midi. Elle est beaucoup plus mouvementée ; les événements s’y précipitent, tous plus sensationnels les uns que les autres. C’est pourquoi, j’espère qu’elle ne vous ennuiera pas. Au surplus, soyez assurés que je ne rapporterai pas un fait dont je ne puisse me porter garant. Je ne parle pas de ouï-dire, mais d’aventure dont j’ai très bien connu les acteurs. En effet, le héros de mon récit est l’un de mes meilleurs amis. J’ai été élevé, j’ai fait mes études et puis la guerre avec lui. Quant à l’héroïne, je l’ai connue à la suite des incidents que je vais relater. C’est d’eux-mêmes que je tiens ce récit. Par conséquent, tout est véridique.

— II —


— Un jour de l’été dernier, poursuivit Paul Aubin, un aéroplane survolait les grands Lacs. Un aéroplane, ce n’est déjà plus un événement et le temps approche où l’on ne les verra pas avec plus de surprise qu’une automobile.

Mais mon aéroplane se conduisait de façon étrange. Il semblait errer dans le ciel, ou plutôt, il paraissait ne savoir quel but fixer à sa course. On l’aurait cru perdu dans l’immensité.

Tout à coup, il se mit à osciller de manière inquiétante et à se livrer à toutes sortes de mouvements désordonnés. Lignant une pointe vers la terre, pour, l’instant suivant, remonter vers les nuages. Tantôt penché à gauche, tantôt à droite. Bref, il était évident que le pilote avait perdu le contrôle de sa machine. Une de ces terribles et rapides tragédie de l’air se préparait.

Avez-vous déjà songé à l’angoisse qui doit étreindre le cœur d’un aviateur quand il s’aperçoit que le mécanisme ne veut plus obéir à sa main ! Ce doit être la sensation la plus affreuse, car la situation est la seule qui soit absolument sans espoir. Dans une automobile, par exemple, on peut penser qu’en cas d’accident, on en sera quitte pour des blessures plus ou moins graves ; si on a la chance de n’avoir pas le crâne fracassé par un morceau de la voiture, le tout se résume à un choc violent. En bateau, on a la ressource des canots de sauvetage ou des épaves : à condition de savoir un peu nager, et même sans cela, on peut compter de pouvoir se raccrocher à quelque chose de solide. Mais, dans l’infini du ciel ! quand on n’a sous les pieds qu’une frêle nacelle de quelques verges et, au-dessous, rien, rien que le gouffre béant dont le fond est un sol dur où s’écrasent les os ! Comment ne pas devenir fou à la perspective d’y être précipité !

C’était pourtant le sort qui attendait notre homme-oiseau.

En effet, après être remonté une dernière fois, l’aéroplane se précipita verticalement vers le sol. Il se dirigeait sur un rocher s’élevant au milieu des eaux et sur lequel, il allait se briser lamentablement. Quelques secondes et c’en serait fait d’une vie humaine.

Mais, au moment de toucher terre, le pilote, qui n’avait pas perdu la tête, réussit à redresser son avion. Cela suffit à briser l’élan et, bien que l’atterrissage fût un peu rude, il évita la catastrophe suprême.

Quelques minutes après, un homme émergea de la carlingue pas trop endommagée. Étourdi, il chancelait. Mais il se remit vite et il se tâta pour voir s’il n’avait rien de brisé. Avec soulagement, il constata qu’il n’avait qu’une blessure légère au bras. Il la pansa rapidement et poussa