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LE MYSTÈRE DES MILLE-ÎLES

un soupir joyeux. Allons ! il en était quitte, cette fois encore !

Grand, bien pris, l’aviateur respirait la force entretenue par les sports. On sentait en lui une énergie extraordinaire, qui assombrissait les yeux et une souplesse, une agilité de fauve. C’était, en somme, un très bel animal humain, l’un de ces êtres qui n’ont qu’à paraître pour conquérir toutes les sympathies. En eux, la vie est si resplendissante qu’on leur sait gré de nous faire oublier les petitesses de l’existence et de ne nous montrer que ce que notre condition d’homme a d’avantageux.

Des traits admirables avec cela et un sourire vainqueur qui ne le quittait jamais.

Je l’ai comparé à un animal, mais c’était bien l’animal qui pense. En effet, sa figure avait un air intelligent, une apparence de supériorité intellectuelle qui complétaient bien son physique. Il avait tout pour lui.


— III —


Les apparences n’étaient pas trompeuses. Hugues Dufresne, — tel était le nom de l’aviateur, — avait eu une vie comblée. Sa famille, par ses ascendants, sa fortune et ses relations, occupait une situation sociale enviable. Le père était un industriel dont le succès démentait le préjugé en vertu duquel le Canadien-français serait inapte aux affaires.

Il faut avouer qu’il avait emprunté leurs méthodes aux Anglais, persuadé qu’on ne peut battre un adversaire qu’en se servant de ses propres armes. M. Dufresne évitait les deux dangers dans lesquels tombent trop souvent nos hommes d’affaires ; il avait soin de ne faire ni trop petit ni trop grand. La mesquinerie et l’emballement sont les écueils où sombrent fréquemment les entreprises canadiennes-françaises.

Je veux dire par là que certains de nos industriels ou nos commerçants manquent de confiance en eux-mêmes ou bien perdent le sens des réalités.

Dans le premier cas, ils se contentent de petites affaires, qui leur procurent de petits bénéfices, à même lesquels ils amassent de petites rentes pour se retirer tôt des affaires. Ils sont alors des rentiers. Oh ! les rentiers, la plaie de notre pays, comme ils le sont d’ailleurs de la France. Parasites, ils ne produisent rien à un âge où un homme devrait encore rendre des services à la communauté sociale. Ils sont ainsi des obstacles au progrès. Ils le sont d’une autre façon encore. Au lieu de permettre aux autres, encore engagés dans la lutte pour la vie, de poursuivre leurs entreprises et d’améliorer la vie commune, ce sont eux qui grognent toujours quand on propose des travaux d’utilité publique. Quand, dans un village, on fait le projet de moderniser les routes ou les trottoirs, de réparer l’église, d’avoir la lumière électrique, immédiatement les rentiers se réunissent sur une galerie de la grand’rue, autour de deux joueurs de dames et crient comme des putois. Pensez donc ! Les travaux projetés feraient augmenter les taxes et, par conséquent, diminuer leurs revenus !… Ils auraient bien mieux fait de travailler un peu plus longtemps et de n’avoir pas à embêter leurs concitoyens. « Vivre de ses rentes » est, chez nous, le rêve suprême, une sorte de parchemin de noblesse. Ce devrait être, au contraire, pour tous ceux qui n’ont pas atteint un âge avancé ou ne sont pas rendus invalides par la maladie, une honte, un opprobre.

Dans l’autre cas, on veut faire grand, colossal, sans se rendre compte de ses possibilités et sans prendre les précautions exigées par la plus élémentaire prudence. On va trop vite. Et c’est pourquoi des affaires merveilleuses sont gâchées, ou tombent entre les mains des Anglais, qui recueillent le bénéfice de l’achalandage, de la publicité déjà faite, de tous les efforts des pionniers.

M. Dufresne, ai-je dit, avait évité ces deux dangers. Aussi, son entreprise d’instruments aratoires était-elle prospère et établie sur des bases très solides. Il laisserait à son fils un héritage admirable.

Va sans dire, il lui avait fallu, pour atteindre ce résultat, des qualités d’énergie, de persévérance peu communes. Son sens des affaires, la lucidité de son esprit et la justesse de son jugement étaient hors pair.

Hughes avait hérité de ces dons ; mais il s’y joignait chez lui plus de raffinement et une plus grande intensité, si j’ose dire. En effet, avec lui, la race s’élevait : il était à la seconde génération de ce progrès.

De sa mère, il avait reçu une sensibilité très fine, qui n’était pas du tout du sentimentalisme, et une intelligence fort aiguë de tout ce qui est artistique, de toutes les beautés.

Comme je vous l’ai dit, j’ai été élevé avec lui. Nos familles étaient voisines.

Dès son enfance, il montra ce qu’il devait être, c’est-à-dire un dominateur.