Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/19

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Des sourires bons, tendres, affectueux.

Des câlineries même.

Aucun indice de rêveries.

Encore moins de ces irritations qu’occasionne la présence d’un autre que l’aimé.

Mais Jean était poursuivi par l’obsession qui le tyrannisait.

Il ne désarma pas.

— De quel côté as-tu dirigé tes pas, ce matin, chère amie ? demanda-t-il avec calme, comme une question non préméditée.

Elle évita de le regarder, eut une légère hésitation et répondit :

Je suis allée du côté du Bon Marché.

— À pied ?

— Mon Dieu, oui. Il fait une journée superbe.

— Au Bon Marché ? D’ici, si j’allais au Bon Marché, le plus court serait de me rendre aux quais et de prendre la rue du Bac.

…Est-ce cela ?

Ce n’était pas du tout l’itinéraire suivi par Malcie. Elle se troubla, mais répondit néanmoins :

— Oui.

— C’est loin, reprit-il très posément. Tu aurais pu prendre une voiture ou l’omnibus.

— À quoi bon, puisque j’avais le temps ?

— De jolie emplettes ?… interrogea-t-il encore.

— Aucune. J’ai vu beaucoup de choses, mais je n’ai rien choisi. Ce n’est pas toujours facile.

Leurs yeux se rencontrèrent.

Malcie crut voir dans son regard à lui, autre chose que la bonté, quelque chose qu’elle voulut retrouver, pour s’assurer : cela n’existait déjà plus.

Elle se troubla.

Dans un éclair de pensée, elle refit sa course du matin, revit Roger, entendit ses paroles, se rappela les siennes.

Pourquoi mentait-elle ?

Pourquoi cachait-elle cette démarche ?

Il lui aurait été si simple de dire qu’un hasard l’avait mise au courant de l’évènement dramatique du chemin de fer et qu’elle avait couru chez le blessé dont les journaux avaient parlé.

Jean eût trouvé cela naturel, puisque Malcie consacrait deux matinées par semaine à visiter les malheureux.

Et Jean aurait peut-être arrêté là son inquisition.

Pourquoi ne le fit-elle pas ?

Parce qu’elle ne connaissait pas ce « roman » promis et elle craignait de près ou de loin. Jean y entrât pour quelque chose.

Avant de parler, elle voulait savoir.

Hélas ! serait-elle la plus forte !… la plus habile !…

Aurait-elle l’astuce nécessaire pour se dissimuler longtemps ?…

Ne se perdrait-elle pas elle-même ?

— Pourquoi me demandes-tu cela, Jean ?

— Quoi donc ? si tu as fait des emplettes.

— Cela d’abord.

— Mais… pour rien… pour juger de ton bon goût.

Elle sourit, le regarda encore.

— Les messieurs n’aiment pas beaucoup les stations des dames dans les grands magasins.

— Ma chère amie, tu sais bien que là-dessus, je n’ai jamais contrecarré tes projets et que tu fais ce que tu veux,

— C’est vrai.

— Et toi, qu’as-tu fais ?

— Moi ? fit-il bonnement. L’explication sera vite donnée. Je suis parti d’ici pour Saint Germain-des-Prés.

Elle redressa la tête.

Le mouvement n’échappa pas au capitaine qui continua, affectant de regarder son assiette.

— Là, j’ai monté une partie de la rue de Rennes avec l’intention de me rendre chez le commandant Brisquet. Tout à coup, je me suis rappelé qu’il avait pour ce matin un rendez-vous. Alors cahin-caha, je suis revenu tout doucettement ici,