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Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/20

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comme un brave bourgeois content de vivre.

Malcie but un verre d’eau.

— Un moment même, continua l’officier toujours souriant, j’avais cru t’apercevoir d’un trottoir à un autre… Il m’avait semblé voir dans ta coiffure un petit toquet. Mais, tu sais, ça été une lueur… un tulle, une fleur qui passe… Je me suis certainement trompé.

Elle éprouva une gêne, mais la chance voulait qu’aucune rougeur ne la trahit.

Elle assura sa voix.

— Tu as pu me voir dans la rue de Rennes… dans le commencement de la rue de Rennes… J’y suis passée… Un de ces jours, j’avais vu du côté de la rue d’Assis des dentelles que je n’ai jamais pu retrouver.

Jean ne protesta pas, mais le rictus des lèvres ne lui avait pas échappé.

M. et Mme d’Hallon se mêlèrent à la conversation qui, en devenant générale, toucha à la banalité.

M. d’Hallon était ce qu’il est convenu d’appeler un brave homme.

Il avait aimé sa femme. Il adorait sa fille, raffolait de ses petits enfants et ne savait comment remercier son gendre du bonheur qu’il donnait à Malcie.

Mme Angèle d’Hallon ne ressemblait guère à son mari.

L’entente, dans le ménage, était sans doute, venue des concessions que Maxime avait faites.

C’était une femme impénétrable, un marbre, une créature impassible à qui jamais une parole irréfléchie n’avait échappée.

Et cela aussi bien à vingt ans qu’aujourd’hui à quarante-cinq ans sonnés.

Dans un salon, elle trônait par sa prestance, ses manières de grande dame, ses mots aimables, et, faut-il le dire, par l’eau bénite de cour dont elle savait asperger tous ceux qui passaient grands et petits, riches et humbles.

Active, elle sortait beaucoup, plaçant par-dessus tout ses devoirs mondains.

D’élan généreux, tendre, bon, on ne lui en connaissait pas. Tout paraissait chez elle, voulu, réfléchi.

Personne n’attendait de sa part de chaudes démonstrations. C’était autre chose qui paraissait incompatible à sa nature.

Elle avait dominé son mari qui s’était laissé faire, elle avait mené sa fille par le petit doigt jusqu’au jour de son mariage précipité par elle.

« Il est bon, disait-elle, de marier jeunes ses enfants. Ils ont le temps de voir grandir les leurs ».

Les cérémonies accomplies, elle avait eu le tact d’abandonner les rênes de son autoritarisme.

La paix régnait dans les deux maisons.

On se voyait aux heures des repas et on se séparait ensuite.

Jamais aucun sujet de discussion.

Ce jour-là le service s’activait.

— Et ce soir, que faisons-nous ? demanda Jean.

— Je sors avec les enfants, je rentre ensuite répondit Malcie.

— C’est tout ?

— Mais, oui, et toi ?

— Moi, je ne sais pas, je vais voir. Et vous papa ?

— Je suis comme vous, Jean, je ne sais pas. Je vais d’abord fumer un cigare, puis si je trouve quelque nouvelle exposition dans les journaux, je prends ma canne et je m’y rends.

Ils se levèrent.

Le jeune ménage remonta chez lui

La petite Colette, donnant la main à son père, faisait de grands efforts pour poser son petit pied sur le tapis des marches en même temps que son papa.

Il était fou de sa fille, Jean d’Anicet.

Malcie montait devant eux.

Jean la contemplait l’esprit flottant, inquiet.

Pouvait-on rester insensible devant une femme pareille.

Comme elle était belle !…