Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

moi aussi. Seulement, monsieur Roger, je m’étais fait, à part moi, une réflexion.

— Ah !

Ils se regardèrent.

— Je parie que vous me comprenez.

— Mon Dieu, Mme Barbillon, c’est un peu difficile. On a tant d’idées, ajouta-t-il en souriant finiment.

Son poing sur la hanche, elle le considéra.

— C’est vrai, mais je me comprends.

— Comment donc ?

— Eh ! bien, oui… Jolie, comme elle est ! Mazette !… Y êtes-vous, monsieur Roger ?

— Il me semble que vous craignez que j’en fasse ma maîtresse.

Elle s’arrêta droite devant lui.

— Ben, voyez, non ; je ne l’ai pas eu une minute, cette pensée-là. Je vous connais. Non, ça ne m’est pas venu du tout.

— Vous avez eu raison. Qu’avez-vous donc pensé ?

— Vous voulez que je vous le dise ?

— J’en serais heureux.

Elle hésita, puis :

— Mariée, n’est-ce pas ?

— Oui, elle est mariée.

— Ne craignez-vous pas que le mari apprenne… qu’il devienne jaloux… et qu’il vienne vous chercher noise !…

Les paupières de Roger se rejoignirent.

Il avait pensé à tout.

En lançant sa première lettre, hanté par une idée, affolé par une cuisante obsession, aucune considération ne l’avait arrêté.

Mais depuis que Malcie était venue, depuis qu’il l’appréciait, depuis qu’il la voyait à l’œuvre, bonne, suave, il avait approfondi ce qui avant lui échappait.

Aussi sa détermination était prise, il se disait :

« À sa première visite, elle saura tout. Il faut qu’elle sache. Elle ne peut venir à chaque instant avant que les situations soient nettes.

…Le choc sera rude. Qu’importe ! Aujourd’hui je ne puis reculer. Je dois prévenir les complications qui pourraient surgir. »

Il répondit :

— J’y ai songé, madame Barbillon, beaucoup plus pour elle que pour moi, et je vais agir en conséquence.

— Voyez-vous le mari venant faire ici de l’esclandre ! du sabbat ! Ça en serait du joli, par exemple !

— J’y ai pensé, répéta Roger. Ne craignez rien. Un mari qui possède un tel trésor de bonté et de joliesse doit être, en effet, facile à émoustiller. Je prendrais les devants… La venue de…

Il s’arrêta sur le point de prononcer son nom et continua :

— La venue de cette dame a un but que vous connaîtrez peut-être… pas encore… plus tard… Il sera atteint à sa première visite. Elle agira ensuite comme elle le jugera à propos, car elle sera maîtresse de la situation.

Moralement, elle m’aura relevé. Je lui devrai tout. C’est moi, qui, maintenant, doit me montrer courageux en agissant.

Déjà il préparait palette, pinceaux, chevalet, Mme Barbillon le quitta.

L’arrivée de Maurice, des projets qu’ils échafaudèrent, une nuit réparatrice, une matinée passée, devant une toile contribuèrent à lui faire trouver le temps court.

Roger était tout guilleret lorsqu’il s’apprêta à sortir dans l’après-midi.

Un pressentiment lui disait que Malcie viendrait le lendemain et ses pressentiments le trompaient rarement.

Il endossa son pardessus et partit. Dès qu’il fut dans la rue, Roger pensa avoir trop présumé de ses forces.

Les jours de chambre l’avaient rendu faible.

La grande lumière le grisa.

Le bruit l’étourdit.

Les jambes flageolèrent.

Il essaya de se remonter.

Son épaule se mouvait cependant sans difficulté. Il ne ressentait plus aux tempes les douleurs des jours précédents.