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soutien, votre consolation dans les temps malheureux que nous traversons. Dieu seul connait ce que l’avenir nous réserve à tous, mais rappelons-nous que nous avons au ciel un bras tout-puissant, qui saura déjouer les complots des méchants : que ceux qui pleurent seront consolés et qu’ils recevront avec usure la récompense des larmes qu’ils auront versées. Car qu’est-ce que la terre que nous habitons, sinon un lieu d’exil et de misères ; mais le ciel, voilà notre patrie, vers laquelle doivent tendre nos désirs et nos aspirations. Séparés sur la terre, c’est là où nous serons ensemble réunis, c’est là que nous pourrons défier les persécutions des hommes. Recevez donc, mes chers frères, et encore une dernière fois, la bénédiction d’un prêtre qui, le cœur navré d’appréhensions pour l’avenir de ses enfants, mais confiant dans le Dieu qui prend soin de ses créatures et jusqu’au plus petit de ses oiseaux, le prie de vouloir bien vous accorder encore des jours calmes et heureux. Si nous n’avions pas d’autre destinée, je vous dirais adieu ! oui un adieu qui, peut-être, serait éternel ; mais à des chrétiens, à ceux qui croient en la parole sainte, je vous dis au revoir ! Oui, encore une fois, au revoir !… »

La scène qui suivit se conçoit plutôt qu’elle ne se décrit. Nous nous permettrons d’emprunter à M. Rameau le récit que fait M. Ney, sur le lamentable événement du lendemain :

« Le 10 septembre fut le jour fixé pour l’embarquement. Dès le point du jour les tambours résonnèrent dans les villages, et à huit heures le triste son de la cloche avertit les pauvres Français que le moment de quitter leur terre natale était arrivé. Les soldats entrèrent dans les maisons et en firent sortirent tous les habitants, qu’on rassembla sur la place. Jusque là chaque famille était restée réunie et une tristesse indicible régnait parmi le peuple. Mais quand le tambour annonça l’heure de l’embarquement, quand il leur fallut abandonner pour toujours la terre où ils étaient nés, se séparer de leurs mères, de leurs parents, de leurs amis, sans espoir de les revoir jamais ; emmenés par des étrangers leurs ennemis ; dispersés parmi ceux dont ils différaient par le langage, les coutumes, la religion ; alors accablés par les sentiments de leurs misères, ils fondirent en larmes et se précipitèrent dans les bras les uns des autres dans un long et dernier embrassement.