Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/142

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lui vint montrer un œil auquel il avait un mal fort apparent et lui demander par signes de lui indiquer une plante qui le pût guérir. Ils ont donc une idée et un usage de cette médecine qui connaît les simples et les applique à la guérison des hommes. C’était celle de Macaon, le médecin des dieux, et on trouverait plusieurs Macaon chez les sauvages du Canada.

Nous échangeâmes quelques bagatelles précieuses à leurs yeux contre des peaux de guanaques et de vigognes. Ils nous demandèrent par signes du tabac à fumer, et le rouge semblait les charmer : aussitôt qu’ils apercevaient sur nous quelque chose de cette couleur, ils venaient passer la main dessus et témoignaient en avoir grande envie. Au reste, à chaque chose qu’on leur donnait, à chaque caresse qu’on leur faisait, le chaoua recommençait, c’étaient des cris à étourdir. On s’avisa de leur faire boire de l’eau-de-vie, en ne leur laissant prendre qu’une gorgée à chacun. Dès qu’ils l’avaient avalée, ils se frappaient avec la main sur la gorge et poussaient en soufflant un son tremblant et inarticulé qu’ils terminaient par un roulement avec les lèvres.

Tous firent la même cérémonie qui nous donna un spectacle assez bizarre.

Cependant le soleil s’approchait de son couchant, et il était temps de songer à retourner à bord. Dès qu’ils virent que nous nous y disposions, ils en parurent fâchés ; ils nous faisaient signe d’attendre et qu’il allait encore venir des leurs. Nous leur fîmes entendre que nous reviendrions le lendemain et nous leur apporterions ce qu’ils désiraient : il nous sembla qu’ils eussent mieux aimé que nous couchassions à terre. Lorsqu’ils virent que nous partions, ils nous accompagnèrent au bord de la mer ; un Patagon chantait pendant