Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/173

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manger, ce dont ils s’acquittèrent avec grand appétit. Tout leur était bon : pain, viande salée, suif, ils dévoraient ce qu’on leur présentait. Nous eûmes même assez de peine à nous débarrasser de ces hôtes dégoûtants et incommodes, et nous ne pûmes les déterminer à rentrer dans leurs pirogues qu’en y faisant porter à leurs yeux des morceaux de viande salée. Ils ne témoignèrent aucune surprise ni à la vue des navires, ni à celle des objets divers qu’on y offrit à leurs regards ; c’est sans doute que, pour être surpris de l’ouvrage des arts, il en faut avoir quelques idées élémentaires. Ces hommes bruts traitaient les chefs-d’œuvre de l’industrie humaine comme ils traitaient les lois de la nature et ses phénomènes. Pendant plusieurs jours que cette bande passa dans le port Galant, nous la revîmes souvent à bord et à terre. Ces sauvages sont petits, vilains, maigres et d’une puanteur insupportable. Ils sont presque nus, n’ayant pour vêtement que de mauvaises peaux de loups marins trop petites pour les envelopper, peaux qui servent également et de toits à leurs cabanes, et de voiles à leurs pirogues. Ils ont aussi quelques peaux de guanaques, mais en fort petite quantité. Leurs femmes sont hideuses et les hommes semblent avoir pour elles peu d’égards. Ce sont elles qui voguent dans les pirogues et qui prennent soin de les entretenir, au point d’aller à la nage, malgré le froid, vider l’eau qui peut y entrer dans les goémons qui servent de port à ces pirogues, assez loin du rivage ; à terre, elles ramassent le bois et les coquillages, sans que les hommes prennent aucune part au travail. Les femmes même qui ont des enfants à la mamelle ne sont pas exemptes de ces corvées. Elles portent sur le dos les enfants pliés dans la peau qui leur sert de vêtement.