Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/177

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Cet accident répandit la consternation et la méfiance.

Ils nous soupçonnèrent sans doute de quelque maléfice ; car la première action du jongleur qui s’empara aussitôt de l’enfant fut de le dépouiller précipitamment d’une caque de toile qu’on lui avait donnée. Il voulut la rendre aux Français ; et sur le refus qu’on fit de la reprendre, il la jeta à leurs pieds. Il est vrai qu’un autre sauvage, qui sans doute aimait plus les vêtements qu’il ne craignait les enchantements, la ramassa aussitôt.

Le jongleur étendit d’abord l’enfant sur le dos dans une des cabanes et, s’étant mis à genoux entre ses jambes, il se courbait sur lui et, avec la tête et les deux mains, il lui pressait le ventre de toute sa force, criant continuellement sans qu’on pût distinguer rien d’articulé dans ses cris. De temps en temps, il se levait et, paraissant tenir le mal dans ses mains jointes, il les ouvrait tout d’un coup en l’air en soufflant comme s’il eût voulu chasser quelque mauvais esprit. Pendant cette cérémonie, une vieille femme en pleurs hurlait dans l’oreille du malade à le rendre sourd. Ce malheureux cependant paraissait souffrir autant du remède que de son mal. Le jongleur lui donna quelque trêve pour aller prendre sa parure de cérémonie ; ensuite, les cheveux poudrés et la tête ornée de deux ailes blanches assez semblables au bonnet de Mercure, il recommença ses fonctions avec plus de confiance et tout aussi peu de succès. L’enfant alors paraissant plus mal, notre aumônier lui administra furtivement le baptême.

Les officiers étaient revenus à bord et m’avaient raconté ce qui se passait à terre. Je m’y transportai aussitôt avec M. de la Porte, notre chirurgien-major, qui fit apporter un peu de lait et de la tisane émolliente.