Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/178

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Lorsque nous arrivâmes, le malade était hors de la cabane ; le jongleur, auquel il s’en était joint un autre paré des mêmes ornements, avait recommencé son opération sur le ventre, les cuisses et le dos de l’enfant.

C’était pitié de les voir martyriser cette infortunée créature qui souffrait sans se plaindre. Son corps était déjà, tout meurtri, et les médecins continuaient encore ce barbare remède avec force conjurations. La douleur du père et de la mère, leurs larmes, l’intérêt vif de toute la bande, intérêt manifesté par des signes non équivoques, la patience de l’enfant nous donnèrent le spectacle le plus attendrissant. Les sauvages s’aperçurent sans doute que nous partagions leur peine, du moins leur méfiance sembla-t-elle diminuée. Ils nous laissèrent approcher du malade, et le major examina la bouche ensanglantée que son père et un autre Pécherais suçaient alternativement. On eut beaucoup de peine à les persuader de faire usage du lait ; il fallut en goûter plusieurs fois, et, malgré l’invincible opposition des jongleurs, le père enfin se détermina à en faire boire à son fils, il accepta même le don de la cafetière pleine de tisane émolliente. Les jongleurs témoignaient de la jalousie contre notre chirurgien qu’ils parurent cependant à la fin reconnaître pour un habile jongleur. Ils ouvrirent même pour lui un sac de cuir qu’ils portent toujours pendu à leur côté et qui contient leur bonnet de plume, de la poudre blanche, du talc et les autres instruments de leur art ; mais à peine y eut-il jeté les yeux qu’ils le refermèrent aussitôt. Nous remarquâmes aussi que, tandis qu’un des jongleurs travaillait à conjurer le mal du patient, l’autre ne semblait occupé qu’à prévenir par les enchantements l’effet du mauvais sort qu’ils nous soupçonnaient d’avoir jeté sur eux.