Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/241

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de plaire leur plus sérieuse occupation. Je ne saurais assurer si le mariage est un engagement civil ou consacré par la religion, s’il est indissoluble ou sujet au divorce. Quoi qu’il en soit, les femmes doivent à leurs maris une soumission entière : elles laveraient dans leur sang une infidélité commise sans l’aveu de l’époux. Son consentement, il est vrai, n’est pas difficile à obtenir, et la jalousie est ici un sentiment si étranger que le mari est ordinairement le premier à presser sa femme de se livrer. Une fille n’éprouve à cet égard aucune gêne ; tout l’invite à suivre le penchant de son cœur ou la loi de ses sens, et les applaudissements publics honorent sa défaite. Il ne semble pas que le grand nombre d’amants passagers qu’elle peut avoir eu l’empêche de trouver ensuite un mari. Pourquoi donc résisterait-elle à l’influence du climat, à la séduction de l’exemple ? L’air qu’on respire, les chants, la danse presque toujours accompagnée de postures lascives, tout rappelle à chaque instant les douceurs de l’amour, tout crie de s’y livrer. Ils dansent au son d’une espèce de tanlbour, et, lorsqu’ils chantent, ils accompagnent la voix avec une flûte très douce à trois ou quatre trous, dans laquelle, comme nous l’avons déjà dit, ils soufflent avec le nez. Ils ont aussi une espèce de lutte qui est en même temps exercice et jeu.

Cette habitude de vivre continuellement dans le plaisir donne aux Tahitiens un penchant marqué pour cette douce plaisanterie, fille du repos et de la joie. Ils en contractent aussi dans le caractère une légèreté dont nous étions tous les jours étonnés. Tout les frappe, rien ne les occupe ; au milieu des objets nouveaux que nous leur présentions, nous n’avons jamais réussi à fixer deux minutes de suite l’attention d’aucun d’eux.