Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/247

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dont notre vie dépendait, il nous était essentiel d’avoir avec nous un homme d’une des îles les plus considérables de cette mer. Ne devions-nous pas présumer qu’il parlait la même langue que ses voisins, que ses mœurs étaient les mêmes et que son crédit auprès d’eux serait décisif en notre faveur quand il détaillerait et notre conduite avec ses compatriotes et nos procédés à son égard ? D’ailleurs, en supposant que notre patrie voulût profiter de l’union d’un peuple puissant situé au milieu des plus belles contrées de l’univers, quel gage pour cimenter l’alliance que l’éternelle obligation dont nous allions enchaîner ce peuple en lui renvoyant son concitoyen, bien traité par nous et enrichi de connaissances utiles qu’il leur porterait ! Dieu veuille que le besoin et le zèle qui nous ont inspirés ne soient pas funestes au courageux Aotourou !

Je n’ai épargné ni l’argent ni les soins pour lui rendre son séjour à Paris agréable et utile. Il y est resté onze mois, pendant lesquels il n’a témoigné aucun ennui.

L’empressement pour le voir a été vif, curiosité stérile qui n’a servi presque qu’à donner des idées fausses à ces hommes persifleurs par état, qui ne sont jamais sortis de la capitale, qui n’approfondissent rien et qui, livrés à des erreurs de toute espèce, ne voient que d’après leurs préjugés et décident cependant avec sévérité et sans appel. Comment, par exemple, me disaient quelques-uns, dans le pays de cet homme on ne parle ni français, ni anglais, ni espagnol ? Que pouvais-je répondre ? Ce n’était pas toutefois l’étonnement d’une question pareille qui me rendait muet. J’y étais accoutumé, puisque je savais qu’à mon arrivée plusieurs de ceux même qui passent pour instruits soutenaient