Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/249

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questions comme je l’étais, quand je me disposais à y satisfaire, les personnes qui m’en avaient honoré étaient déjà loin de moi. C’est qu’il est fort commun dans les capitales de trouver des gens qui questionnent non en curieux qui veulent s’instruire, mais en juges qui s’apprêtent à prononcer : alors, qu’ils entendent la réponse ou ne l’entendent point, ils n’en prononcent pas moins.

Cependant, quoique Aotourou estropiât à peine quelques mots de notre langue, tous les jours il sortait seul, il parcourait la ville, et jamais il ne s’est égaré. Souvent il faisait des emplettes, et presque jamais il n’a payé les choses au-delà de leur valeur. Le seul de nos spectacles qui lui plut était l’opéra : car il aimait passionnément la danse. Il connaissait parfaitement les jours de ce spectacle ; il y allait seul, payait à la porte comme tout le monde, et sa place favorite était dans les corridors. Parmi le grand nombre de personnes qui ont désiré le voir, il a toujours remarqué ceux qui lui ont fait du bien, et son cœur reconnaissant ne les oubliait pas. Il était particulièrement attaché à madame la duchesse de Choiseul qui l’a comblé de bienfaits et surtout de marques d’intérêt et d’amitié, auxquelles il était infiniment plus sensible qu’aux présents. Aussi allait-il de lui même voir cette généreuse bienfaitrice toutes les fois qu’il savait qu’elle était à Paris.

Il en est parti au mois de mars 1770, et il a été s’embarquer à La Rochelle sur le navire Le Brisson, qui a dû le transporter à l’île de France. Il a été confié pendant cette traversée aux soins d’un négociant qui s’est embarqué sur le même bâtiment, dont il est armateur en partie. Le ministère a ordonné au gouverneur et à l’intendant de l’île