Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/251

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comètes evetou eave, et n’attachent à leur apparition aucune idée sinistre. Il n’en est pas de même de ces espèces de météores qu’ici le peuple croit être des étoiles qui filent. Les Tahitiens, qui les nomment epao, les croient un génie malfaisant eatoua toa.

Au reste, les gens instruits de cette nation, sans être astronomes, comme l’ont prétendu nos gazettes, ont une nomenclature des constellations des plus remarquables ; ils en connaissent le mouvement diume, et ils s’en servent pour diriger leur route en pleine mer d’une île à l’autre. Dans cette navigation, quelquefois de plus de trois cents lieues, ils perdent toute vue de terre. Leur boussole est le cours du soleil pendant le jour et la position des étoiles pendant les nuits, presque toujours belles entre les tropiques.

Aotourou m’a parlé de plusieurs îles, les unes confédérées de Tahiti, les autres toujours en guerre avec elle.

Les îles amies sont Aimeo, Maoroua, Aca, Oumaitia et Tapoua-massou. Les ennemies sont Papara, Aiatea, Otaa, Toumaroaa, Oopoa. Ces îles sont aussi grandes que Tahiti. L’île de Pare, fort abondante en perles, est tantôt son alliée, tantôt son ennemie. Enouamotou et Toupai sont deux petites îles inhabitées, couvertes de fruits, de cochons, de volailles, abondantes en poissons et en tortues ; mais le peuple croit qu’elles sont la demeure des génies ; c’est leur domaine, et malheur aux bateaux que le hasard ou la curiosité conduit à ces îles sacrées ! Il en coûte la vie à presque tous ceux qui y abordent. Au reste, ces îles gisent à différentes distances de Tahiti. Le plus grand éloignement dont Aotourou m’ait parlé est à quinze jours de marche.

C’est sans doute à peu près à cette distance qu’il supposait être notre patrie lorsqu’il s’est déterminé à nous suivre.

J’ai dit plus haut que les habitants de Tahiti nous avaient paru vivre dans un bonheur digne d’envie. Nous les avions crus presque égaux entre eux, ou du moins jouissant d’une liberté qui n’était soumise qu’aux lois établies pour le bonheur de tous. Je me trompais, la distinction des rangs est fort marquée à Tahiti, et la disproportion cruelle. Les rois et les grands ont