Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/322

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à la mer toutes nos salaisons, mais il fallait manger le mauvais comme le bon. Qui pouvait savoir quand cela finirait ? Telle était notre situation de souffrir en même temps du passé qui nous avait affaiblis, du présent dont les tristes détails se répétaient à chaque instant, et de l’avenir dont le terme indéterminé était presque le plus cruel de nos maux. Mes peines personnelles se multipliaient par celles des autres. Je dois cependant publier qu’aucun ne s’est laissé abattre, et que la patience à souffrir a été supérieure aux positions les plus critiques. Les officiers donnaient l’exemple, et jamais les matelots n’ont cessé de danser le soir, dans la disette comme dans les temps de la plus grande abondance. Il n’avait pas été nécessaire de doubler leur paie.

Nous eûmes constamment la vue de la Nouvelle-Bretagne jusqu’au 3 août. Pendant ce temps il venta peu, il plut souvent, les courants nous furent contraires et les navires marchaient moins que jamais. La côte prenait de plus en plus de l’ouest. Le 29 au matin, nous nous en trouvâmes plus près que nous n’avions encore été. Ce voisinage nous valut la visite de quelques pirogues, deux vinrent à la portée de voix de la frégate, cinq autres furent à L’Étoile. Elles étaient montées chacune par cinq ou six hommes noirs, à cheveux crépus et laineux, quelques-uns les avaient poudrés de blanc.

Ils portent la barbe assez longue et des ornements blancs aux bras en forme de bracelets. Des feuilles d’arbre couvrent, tant bien que mal, leur nudité. Ils sont grands et paraissent agiles et robustes. Ils nous montraient une espèce de pain et nous invitaient par signes à venir à terre ; nous les invitions à venir à bord ; mais nos invitations,