Page:De Bougainville - Voyage autour du monde, 1771.djvu/414

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chacun d’eux a ordre d’envoyer un soldat à bord des vaisseaux qui passent avec un registre sur lequel on prie d’inscrire le nom du vaisseau, d’où il vient et où il va. On met ce qu’on veut sur ce registre ; mais je suis fort éloigné d’en blâmer l’usage, puisque, par ce moyen, on peut avoir des nouvelles de bâtiments dont souvent on est inquiet, et que d’ailleurs le soldat chargé de présenter ce registre apporte aussi des poules, des tortues et d’autres rafraîchissements qu’il vend à fort bon compte. Il n’y avait plus de scorbut au moins apparent à bord de mes vaisseaux ; mais beaucoup de gens y étaient attaqués du flux de sang. Je pris donc le pari de faire route pour l’île de France, sans attendre L’Étoile, et je lui en fis le signal le 20.

Cette route n’eut rien de remarquable que le beau et bon temps qui l’a rendue fort courte. Nous eûmes constamment le vent de sud-est très frais. Nous en avions besoin ; car le nombre des malades augmentait chaque jour, les convalescences étaient fort longues, et il se joignit aux flux de sang des fièvres chaudes ; un de mes charpentiers en mourut la nuit du 30 au 31. Ma mâture me causait aussi beaucoup d’inquiétude. Il y avait lieu d’appréhender que le grand mât ne rompît cinq ou six pieds au-dessous du trélingage. Je le fis jumeler, et pour le soulager, je dégréai le mât de perroquet et tins toujours deux ris dans le grand hunier.

Ces précautions retardaient considérablement notre marche ; malgré cela, le dix-huitième jour de notre sortie de Batavia, nous eûmes la vue de l’île Rodrigue, et le surlendemain celle de l’île de France.

Le 5 novembre à quatre heures du soir, nous étions nord et sud de la pointe nord-est de l’île Rodrigue.