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la grotte

« Comme aujourd’hui, les sauvages étaient réunis pour faire le procès d’un prisonnier ; déjà, la victime entonnait son chant de mort, et les femmes commençaient la danse funèbre, lorsque, tout à coup, le ciel se noircit ; de gros nuages s’y déroulèrent, comme des paquets d’ombre ; le vent s’éleva, poussant des rouleaux d’écume sur le fleuve et soulevant les vagues avec furie. L’une d’elle, venue de fort loin, déferla sur le rivage, et les sauvages virent avec épouvante qu’elle y avait apporté un homme aux cheveux de soleil et aux yeux de firmament. Celui qui arrivait de si tragique façon, c’était mon père. Un malheur immérité lui ayant rendu pénible le séjour dans son pays, il s’embarqua sur un vaisseau pêcheur, espérant trouver, dans la rude vie des coureurs de mer, l’oubli de son chagrin. Hélas ! ni le tumulte des éléments, ni le calme serein de la nature, ne purent jamais guérir le mal qu’il portait en lui. Un jour, s’étant aventuré seul dans une petite barque, il fut emporté par les flots déchaînés, ballotté pendant des heures, et enfin jeté épuisé au bas de cette falaise. Les sauvages de ces régions n’avaient encore jamais vu de blancs : comme ils sont très superstitieux, cette fantastique entrée en scène les remplit de terreur et de vénération. Toute sa vie, ils ont redouté mon père comme un génie qu’il fallait se rendre favorable par des offrandes et des sacrifices. Voyant l’émoi que son arrivée causait aux