Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/107

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des projets de bonheur, chantant des duos, offrant des fleurs à son futur avec la même grâce qu’elle mettait à régaler Meneghe de mes oranges. Un jour, le bon Jérôme Gotti, c’était son nom, entra chez moi, le visage tout bouleversé, les yeux inondés de larmes. Il avait fait la route de Castellamare à Sorrente en compagnie du jeune ânier qui venait de lui raconter son intrigue amoureuse tout en cheminant. Le chagrin suffoquait le pauvre Geronimo ; mais son orgueil prit le dessus et il déclara nettement qu’il rompait pour la vie avec une personne indigne de lui. Je ne pus réussir à le calmer ; il partit désespéré, sans rien vouloir entendre et sans revoir Antonia. J’appelai aussitôt ma fille. Elle ne s’abaissa pas au mensonge et m’avoua ses fautes avec une candeur qui m’épouvanta.

— Enfin, lui disais-je, lequel des deux aimais-tu ?

— Tutti due ! me répondit-elle ; tous les deux.

— Ainsi, tu aurais épousé Geronimo ayant de l’amour pour ce Menhege ?

— Si signora.

Il me fallut lui expliquer ce qu’il y avait de coupable dans ses sentiments, encore ne suis-je pas certaine qu’elle l’ait compris. Elle pleura de mes reproches plutôt que de honte ou de regret. La colère s’empara de moi.

— Malheureuse ! m’écriai-je, songe au cachet de plomb que tu portes encore à ton cou et rappelle-toi d’où je t’ai tirée.

— Oui, répondit-elle, je ne suis qu’une trovatelle et, si vous l’ordonnez, je suis prête à retourner à l’Annonciade.

Je l’envoyai dans sa chambre et je restai à pleurer