Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/106

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Nantina ! Oh ! le cher petit nom ! je le répéterai toute la journée avec tant de bénédictions et de prières que Saint Dominique, mon patron, apaisera le courroux de la madone.

Là-dessus Meneghe chanta d’une jolie voix de ténor la chanson populaire de la Cannetella, en y mêlant le nom d’Antonia. Ma fille adoptive avait elle-même une belle voix de contralto et je lui avais donné d’excellents maîtres de musique. Au second couplet, elle accompagna le chanteur à la tierce et sa colère se trouva fort diminuée à la fin du morceau. Ils se séparèrent meilleurs amis qu’Antonia ne voulait l’avouer. Depuis ce jour elle revenait tous les matins au bois d’orangers et passait une heure en tête-à-tête avec le petit ânier.

— Si tu ne veux pas chanter, lui disait-elle, tu tireras un mauvais numéro à la conscription.

Le garçon n’avait garde de refuser car il croyait au crédit de la jeune fille auprès de la madone et, bientôt, cette bonne fortune avec une demoiselle de qualité lui tourna un peu la cervelle. Malgré les inclinations populaires que le sang d’Antonia révélait, tout ceci m’eût semblé pardonnable sans une circonstance dont je dois vous instruire. Je destinais la main de ma protégée à un jeune homme plus laborieux que riche, mais d’un bon caractère. J’avais placé ce jeune homme dans un ministère où il avait déjà deux cents ducats, c’est-à-dire neuf cents francs d’appointements et le titre de consulta-stato. Il venait nous voir assidûment à Sorrente le dimanche et les jours de fête. Antonia savait mes intentions, trouvait ce prétendu à son goût, demeurait des journées entières avec lui, faisant