Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/109

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voisine. Je voulus montrer à ma fille adoptive l’insolence de son amoureux ; elle me répondit qu’elle l’avait déjà remarquée, d’un air si indifférent que je la crus trop fière pour être jalouse. Un matin, elle me demanda la permission d’envoyer à Angelica une corbeille de nos meilleurs fruits. Cette vengeance me sembla fort noble et je n’eus garde de m’y opposer. La voisine vint remercier Antonia et s’en acquitta parfaitement, avec cette grâce et cette effusion touchante que donne la reconnaissance. On s’embrassa cordialement. Les deux jeunes filles voulurent parcourir ensemble le jardin. Je les vis s’enfoncer sous les arbres, les bras entrelacés et appuyées sur l’épaule l’une de l’autre. Tout à coup j’entendis un cri d’angoisse qui me fit frémir. Antonia revint seule. Elle était émue ; ses mains tremblaient et ses yeux avaient une expression sinistre que je n’oublierai jamais.

— Malheureuse, lui dis-je, qu’avez-vous fait de cette jeune fille ?

— E annegata, me répondit-elle.

Je devinai ce qui s’était passé. Au fond du jardin se trouvait une citerne dans laquelle Antonia venait de précipiter sa rivale. J’appelai mes domestiques et je courus avec eux au secours. L’eau n’était pas profonde. Angelica fut retirée évanouie, mais non noyée et nos soins la rétablirent en quelques heures. La Sorrentine n’était pas fille à pardonner. Sa première pensée, en revenant à la vie, fut la vengeance.

— Je lui rendrai cela, disait-elle, et je tâcherai de ne pas manquer mon coup.

De son côté, Antonia, au lieu de se repentir, n’écoutait