Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/137

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mis sur la toile, entre autres un combat de chrétiens et de Sarrasins d’une vigueur remarquable. Je fus surtout charmé d’un gros cahier in folio, dans lequel étaient deux ou trois cents compositions à la plume représentant des groupes d’enfants et des sujets où l’imagination du peintre s’est livrée à toutes sortes de caprices. Dans son isolement, cet artiste éprouve souvent un doute cruel de lui-même. Il sent, avec amertume, la triste situation de l’homme de talent qui n’a pas de public et il continue à produire, avec une constance digne d’éloges, une quantité d’ouvrages qu’on ne verra peut-être pas de son vivant. Je l’engageai à quitter Messine pour venir chercher à Paris les succès et le bien-être qu’il méritait ; mais il me montra, par sa fenêtre, le ciel superbe du détroit et il me répondit, avec émotion, qu’un bon Sicilien vivait et mourait dans son pays.

En rentrant à la Victoire je vis miss Nancy, parée d’une robe blanche, semblable à un ange de lumière. Elle avait parcouru la ville avec son père et, n’ayant rien trouvé de beau que le climat, elle appuya, de toutes ses forces, ma proposition de partir pour Taormine et Catane. Nous dinâmes tous trois ensemble à l’hôtel. La jeune personne se retira dans sa chambre, au dessert, afin de laisser à son père le loisir de se griser, ce dont il s’acquitta d’une façon homérique, tandis que je faisais marché avec un loueur de carrosses pour le départ du lendemain.

A cinq heures du matin, mon gros Anglais se tira du lit péniblement et nous montâmes en voiture, le père encore troublé de l’excès de la veille, la jeune fille ravie de voir un pays nouveau et moi satisfait de l’assurance d’obtenir, dans le cours du voyage,