Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/161

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Avec de la bonne volonté, j’aurais su découvrir une allusion très fine, dans cet éloge pompeux du fromage blanc, une intention romanesque dans cette supra-excellence de la ricotta préparée à la Couronne, un mystère délicatement déguisé sous cette acceptable addition à toute anglaise table de déjeuner. Il ne me fallait qu’une heure ou deux de méditation et j’étais au moment de saisir le mot de l’énigme lorsqu’un incident grave vint me tirer de ma rêverie. En me promenant sur la place, je me trouvai face à face avec le muletier de la letiga. Cet homme, qui s’appelait don Trajano et qui portait bien son nom, ne s’émouvait jamais de rien et ne répondait que dans un jargon moitié italien, moitié sicilien.

— Eh bien, lui dis-je, où donc est le signor anglais ?

— E cascatu.

— Comment ? Il est tombé !

— Già ; a Lognone.

— Dans le précipice de Lagnone ?

— Già

— Il s’est tué

— Gnor, no.

— Dieu soit loué ! Il s’est cassé un membre ?

— Gnor, no.

— Que s’est-il donc fait ?

— E un po sbalurditu.

— Il est étourdi du coup ? Et où l’avez-vous laissé ?

— L’avemo lassatu a Lagnone.

— Comment cela est-il arrivé ?

— Il mulo non avea ben magnatu.

— C’est que vous ne nourrissez pas vos mules.