Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/165

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nous appelons les femmes qui portent ce grand voile noir ? On les nomme toppatelles. Ce mot vient de toppare qui veut dire cacher, ou de topo qui signifie souris ; choisissez, entre ces deux étymologies, celle que vous voudrez. Nos jeunes-filles possèdent l’art de draper à leur avantage ce vêtement funèbre. Il ne faudrait pas se fier à leurs airs de nonnes, car elles ressemblent à l’Etna qui sommeille jusqu’au jour où l’éruption éclate. Une fois qu’elles sortent de leur indolence, rien n’arrête leurs petites passions. Si vous étiez venu ici en 1840, vous auriez vu la plus belle personne qui ait jamais porté le voile de soie noire. Celles-ci ne sont rien en comparaison. Hélas ! la pauvre Agata, elle est perdue pour nous !

— Son histoire doit être intéressante, répondis-je. Contez-la-moi, je vous prie. Allons au bord de la mer ; nous ferons nos visites demain.

Mon compagnon rapprocha son âne du mien. Nous sortîmes ensemble de la ville par la rue du Corso et le Sicilien commença en ces termes l’histoire de la belle toppatelle :

J’ai connu Agata quand elle n’avait que quatre ans. Jamais il n’y eût de petite fille aussi aimable. Ses yeux parlaient avant que son esprit fût développé, comme s’ils eussent deviné ce qu’ils auraient à exprimer un jour. Elle avait l’air de songer à quelque chose de sérieux qu’on ne savait pas et qu’elle n’aurait pas pu dire elle-même. Sa mère, qui était une franche sarrasine, lui avait transmis un sang brûlant comme la lave et recouvert d’une peau brune et veloutée comme ce fruit rare et beau qu’on nomme le brugnon. La petite Agata n’était ni farouche, ni caressante ; lorsqu’on voulait l’embrasser, elle vous