Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/169

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— Signora, répondit le garçon, si vous cueillez la salade vous-même et si vous versez le vin dans mon verre, le roi ne soupera pas si bien que moi.

On se mit à table et on mangea de bon appétit. Les jeunes gens, animés par le plaisir, jouèrent à cette guerre d’esprit qui a du piquant dans notre dialecte et où l’amour suit parfois la malice de fort près. Agata riait de ce rire qui enivre les fillettes et qui a donné lieu au proverbe : Bouche qui rit veut un baiser. Zullino n’eût cependant, pour toute faveur, qu’une rose portée par sa danseuse et on se sépara vers le carillon de minuit.

Ce n’était pas un grand seigneur que le bon Zullino. Son père, fort mauvais menuisier, n’avait pu faire de lui qu’un ouvrier peu habile. Quelques baïocs, péniblement gagnés à raboter des bancs et de méchants escabeaux, les menaient tous deux à la fin de chaque semaine ; le bout de l’année se trouvait ainsi arrivé sans qu’on pût dire comment. La pauvreté ayant toujours été leur fidèle associée, ils étaient habitués à sa compagnie et ne se doutaient pas qu’elle fût considérée comme un malheur. Le lendemain du bal improvisé, Zullino était à l’ouvrage dès le point du jour et chantait en taillant une planche. Agata passa devant sa boutique en allant à la messe.

— Vous chantez de bon cœur, lui dit-elle ; on voit bien que vous n’avez pas de soucis.

— Voilà comme vous êtes, vous autres jeunes-filles, répondit le garçon ; vous parlez de tout sans rien savoir. Apprenez que je chante pour m’étourdir et ne pas songer à mes peines.

— Quelles peines avez-vous donc ?

— J’ai de l’amour pour vous depuis hier et,