Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/201

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a les pâles couleurs et la France paraît cristallisée au fond d’une glacière. Assurément, nos campagnes sont florissantes, elles produisent tout ce que le sol peut donner ; il y a même tel département, dépouillé de ses arbres par la spéculation, que la charrue, la bande noire et les usines convertissent en mine d’or et qui nourrit et enrichit les êtres inquiets et ambitieux qui le pressurent ; mais on n’y verra bientôt plus une branche d’arbre où reposer ses yeux, ni une toise carrée de mousse où s’asseoir. Tandis que la France devient nue à force de travail, la Sicile reste un désert par inertie ; elle en souffre, elle en gémit et elle a raison ; cependant, si jamais le vent de l’exploitation sèche ses marais, abat ses bois et ses châteaux, divise ses grands domaines en petites propriétés, aussitôt, avec le triomphe des intérêts matériels, entreront, par la même porte, comme chez nous, la figure blême de l’ennui et le suicide silencieux, son pistolet à la main ; car la triste condition de l’homme est de n’atteindre jamais un bien sans faire sortir de terre un mal auquel il n’a pas songé. En attendant, la Sicile a fort à faire avant de souffrir les mêmes maux que nous. Elle fermente, sans pousser les clameurs légales de l’Irlande et le caractère de ses habitants est très porté au changement. Le Sicilien est intelligent, fier et passionné. Il méprise injustement le napolitain qui lui serait au moins égal s’il avait plus de dignité naturelle. Les deux peuples pourraient se convenir et s’aimer, ils se détestent de tout leur cœur et, comme ils ne tiennent compte, tous deux, que des sympathies et antipathies, il n’y a pas de raisonnement à leur faire. On ne voit guère un Sicilien et un Napolitain