Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/203

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que toutes les autres, s’abaisse encore à la jalousie. Les hommes de talent, qui auraient tant besoin de s’unir pour briser le cercle qui les renferme et rappeler sur leur pays oublié l’attention dont il est digne, s’isolent et se nuisent réciproquement. Notre premier soin, en arrivant à Palerme, fut de porter, à son adresse, une lettre d’introduction auprès d’un jeune écrivain de mérite, M. Linarès qui a publié un petit recueil de légendes siciliennes. La première édition de ces nouvelles avait été épuisée en peu de jours ; elles sont écrites avec grâce et n’ont d’autre défaut que le manque de sobriété qui est un travers inhérent à la nature italienne et dont l’organisation, plus forte, du Sicilien, aurait dû préserver l’auteur. Un jour que M. Linarès avait laissé sa carte de visite à notre hôtel, le patron d’auberge, don Fernando, espèce de cyclope, nous dit en apportant cette carte :

— En voici un qui a été bien persécuté depuis qu’il a écrit son ouvrage. Tout le monde lui a fait la guerre et je ne m’étonnerais pas qu’il fût obligé de quitter le pays.

— Comment, demandai-je à don Fernando, il a donc attaqué des gens, dans son ouvrage ?

— Attaqué des gens ! il n’aurait plus manqué que cela ! On s’en serait bien réjoui car c’eût été une excellente raison de se défaire de lui. Non vraiment ; il n’a parlé que de choses du temps passé ; mais il a eu du succès et c’est assez pour qu’on le déteste. Celui qui a plus d’esprit que les autres est leur ennemi.

Il y a une autre jalousie, plus noble, que le Sicilien pousse à un degré qui s’appellerait de la folie en