Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/208

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

où l’odeur des citronniers en fleur se mariait avec les parfums les plus robustes de la cuisine. Le comte de M… et moi, nous fîmes une pauvre figure vis-à-vis du macaroni que M. Linarès engloutissait en véritable indigène ; mais nous prîmes notre revanche au dessert avec deux saladiers de fraises qui eussent bien coûté quarante francs selon la carte de Véry ou des Frères Provençaux. A côté de nous, une douzaine d’hommes, qui avaient un peu abusé de la bouteille, chantaient des popolane, accompagnés par un violon et une flûte. Ils s’amusaient de tout leur cœur, sans faire attention à leur entourage, ce qui nous mit à notre aise pour nous approcher d’eux et les écouter. Par leur caractère sérieux et mélancolique, ces chansons paraissaient d’origine espagnole et différaient du genre de morceau appelé spécialement Sicilienne. Quelques-unes commençaient dans un ton et finissaient dans un autre ; il y en avait une, d’un rythme bizarre, où la mesure à quatre temps alternait avec celle à trois. Le mode était toujours mineur. Le violon accompagnait en syncope, c’est-à-dire en marquant les temps faibles et non le temps fort, ce qui donnait au morceau un accent agitato for agréable. La flûte jouait habilement les ritournelles à l’octave au-dessus du ténor car cette voix, si rare dans notre pays, est commune en Sicile ; une basse-taille ne se hasarderait pas à faire la première partie et on ne chanterait pas s’il n’y avait point de ténor dans la bande. Parmi nos voisins étaient deux personnages d’une majesté imposante, qui représentaient la Grèce et Carthage puisque l’un s’appelait Agatocle et l’autre Magone.

— A présent, disait don Agatocle, cordonnier de