Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/229

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par des scènes pathétiques, et vous tombez au milieu du tumulte et de la folie. Des marchands forains entourent la place. Sous les arceaux de verdure s’élève la fumée des cuisines en plein vent. Des cercles de mangeurs sont assis sur l’herbe et ce qu’ils absorbent de macaroni est impossible à calculer. Le vin ne jouit pas d’une grande faveur ; le peuple de ce pays-là ne recherche pas cette gaieté factice qui tourne en brutalité, trouble la cervelle et prépare à la tristesse pour le lendemain. Je ne connais rien d’entraînant et de communicatif comme la joie du Napolitain ; elle est franche, saine et naturelle. Jamais elle n’est gâtée par ce sentiment honteux de haine et d’envie que le peuple du Nord porte souvent aux gens plus riches que lui. Les barrières de paris ne seraient pas sûres pour tout le monde un jour d’orgie ; dans les fêtes de Naples, au contraire, vous trouvez partout des visages qui sourient et répondent par de la cordialité à votre propre bienveillance. Si vous vous approchez des danseurs, on s’écarte pour vous donner la meilleure place. La tarentelle allait finir : on la prolonge afin d’amuser l’étranger. Si vous allez vers les mangeurs, ils vous offrent du macaroni, un verre d’eau à la neige ou de limonage ; si vous prenez place à leur festin, ils sont charmés de votre compagnie et s’écrient, avec leur accent exagéré, que vous êtes sympathique, sans songer que ce sont eux qui font tous les frais de sympathie et brisent votre glace parisienne. Le plaisir vous gagne : vous regrettez de ne pas porter leur caleçon de toile et leur bonnet rouge, de ne pas savoir leurs danses pittoresques, ni leur dialecte expressif pour dire, comme eux, de ces mots moitié comiques et moitié tendres qui font