Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/230

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naître l’amour avec le rire dans les yeux noirs de leurs fillettes.

Il faut que le Napolitain soit heureusement né pour jouir si bien d’une vie bornée de tous côtés par la misère ! Nous autres, gens chagrins qui les plaignons, nous ferions mieux, peut-être, d’épargner nos frais de pitié mal placée. On dort sur la paille à Naples ; on ne possède qu’un grano pour la nourriture de toute la journée ; mais jamais vous n’entendez parler d’un suicide. Ce n’est pas la crainte de la mort qui retiendrait les Napolitains ; leur terrible résistance aux armes de Championnet a prouvé qu’ils savaient mourir intrépidement. Chez nous, on a du pain, des habits propres, un bon lit, un avenir à peu près assuré et puis, un beau jour, on se tue sans daigner dire pourquoi. Lequel a donc vécu heureusement : celui qui, sans chemise, l’estomac à demi-plein de quelques brins de pâte et d’un peu d’eau, ne songe qu’à chanter, prier Dieu et se divertir ensuite, ou celui qui, vêtu du drap d’Elbeuf et gorgé de bonne chère se pénètre de sa dignité d’homme et se pend à l’espagnolette d’une fenêtre bien calfeutrée ?

Ce n’est pas sans raison que les jeunes filles de Naples imposent à leurs prétendus la condition de retourner tous les ans à la Madone dell’Arco. Elles y trouvent ce que les femmes aiment et recherchant : des garçons en belle humeur, de petits cadeaux de fête, des fleurs et des danses. L’enivrement de la tarentelle leur sied à ravir. Ces bras un peu forts, ces tailles un peu larges prennent de la souplesse et de l’élégance au milieu des passes et des évolutions. Les moins belles, une fois animées par le plaisir, sont encore agréables à regarder. Les pieds nus, surtout,