Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/232

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une apparence tout à fait triomphale. Le 5 juin dernier, pour ne rien omettre, je construisis mon trophée comme les autres ; je rentrai bravement dans Naples, ma branche d’arbre sur l’épaule, avec deux pouces de poussière sur mes habits, et les aimables enfants de la comtesse M… me débarrassèrent de mes acquisitions avec une joie aussi pétulante et aussi vraie que celle du peuple napolitain.

Dans tous les pays on trouve de ces gens, réduits par la mode et le bon ton, à vivre dans une cage. Nous en voyons, à Paris, qui ne se hasardent pas au-delà du boulevard Montmartre. La capitale a sept lieues de circonférence et ils n’en connaissent qu’un demi-kilomètre. A Naples, il y a quelques élégants qui se croiraient déshonorés s’ils sortaient de Tolède et du jardin de la Villa-Reale qui est une espèce de boulevard de Gand. On tâche de se croire au bois de Boulogne en passant la grotte de Pausilippe ; on honore le tombeau de Virgile par un habit imité de Schwartz ; on entend les vagues de la mer sans les regarder et, si l’on daigne, un instant, considérer le Vésuve, c’est, à travers un lorgnon fixé dans l’orbite de l’œil, par une étude approfondie. Le soir, en revenant de la Madone dell’Arco, je ne trouvai personne, dans ce monde creux, qui eût seulement connaissance de la fête populaire. Les uns s’étonnèrent beaucoup d’apprendre que je m’étais lancé dans ce tumulte, les autres me demandèrent, avec une ironie accablante, si j’avais mangé le macaroni sur l’herbe ; à quoi je répondis en leur riant au nez, car j’étais encore heureux de m’être si bien diverti. Dans le moment même, les charrettes de feuillages passaient le long des grilles de la promenade, au son des fifres et des tambours