Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/241

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nez sont plus longs, plus fins et la régularité classique règne sur les visages, moins noirs et moins animés. La pétulance s’éteint peu à peu ; elle est remplacée par la majesté romaine. Le son de la voix est plus harmonieux, la parole plus lente ; il n’y a plus de dialecte et vous êtes étonné d’entendre des paysans, des filles d’auberge et des facchini se servir de termes choisis. Vous les prendriez volontiers pour de grands seigneurs rejetés dans le peuple par des revers de fortune.

On entre dans les Etats pontificaux par une route escarpée et pittoresque. Notre voiturin passa sans accident le détroit, si périlleux il y a dix ans, des rochers de Terracine. L’excellente raison pour laquelle le brigandage exerçait paisiblement ses droits, c’est que douaniers, postillons et habitants du pays faisaient partie de la bande et touchaient leur part du butin. Le douanier visitait les bagages en conscience. S’il ne remarquait rien de précieux on ne se dérangeait pas ; mais lorsque l’examen des malles était satisfaisant, un courrier, expédié par les chemins de traverse, allait avertir les brigands ; la voiture trouvait à qui parler en arrivant au défilé, puis on partageait en frères. Voilà comme il est agréable d’exercer l’état de voleur, à coup sûr et sans danger. Ne me parlez point de ces misérables écumeurs de grands chemins, échappés des galères, qui arrêtent une diligence au risque de n’y rien trouver de bon ; obligés, souvent, ne voulant que voler, de passer au rôle tragique d’assassins, embarrassés de leur butin, traqués par une police incommode, tremblant devant l’ombre d’un gendarme et finissant, dégoûtés d’un métier ruiné, par aimer mieux retourner