Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/242

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au bagne que de mener une vie de terreurs perpétuelles. Tout le monde, d’ailleurs, n’est pas disposé à perdre son âme et à se corrompre en mauvaise compagnie. Le brigand français, depuis le seigneur Mandrin, a toujours été dégénérant ; tandis qu’en Italie cela n’empêche pas d’exercer quelque honnête profession, de mériter l’estime publique, de donner l’exemple de vertus de famille, de faire son salut et de mourir en bon chrétien. Cependant, le métier paraît un peu gâté ; les bandes sont désorganisées pour le moment présent. Des maladroits ont dévalisé des cardinaux qui ont trouvé cela mauvais et se sont étonnés, à un second passage, de voir leurs vêtements sur les épaules du douanier et le postillon regarder l’heure avec leur montre. Cette exagération et cette légèreté devaient nécessairement amener une décadence dans l’industrie. Des mesures rigoureuses ont été prises par le gouvernement pontifical et Terracine a perdu, ainsi, le plus assuré de ses revenus. On n’y vole plus en grand comme autrefois ; mais, pour s’entretenir la main, on se borne, faute de mieux, à l’escroquerie. Les camerieri d’auberges ramassent volontiers ce que le voyageur laisse traîner dans sa chambre, comme mouchoirs de poche, pièces diverses du nécessaire de toilette, pantoufles, casquettes et autres menus objets. Si l’étranger réclame, on paraît stupéfait de son audace ; s’il insiste, on lui répond par un silence majestueux, en haussant les épaules avec un sourire de mépris qui dit clairement :

— Il ose se plaindre pour une bagatelle, sans penser que nous l’aurions dépouillé jusqu’à la chemise il y a dix ans ! Dans quel temps vivons-nous ! Allez, vous êtes tous des ingrats.