Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/251

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du présent sur le passé. Défiez-vous de cette vénérable capitale. Ce n’est pas, comme Palerme, une odalisque voluptueuse qui vous enivre et s’empare de vos sens ; ni, comme Naples, une coquette séduisante, tout à tour gaie, langoureuse ou babillarde. C’est une beauté sur le retour qui ne vous trouble pas, vous élève l’esprit, parle sans cesse à votre imagination et vous fait insensiblement un besoin de sa compagnie, habitude impérieuse à laquelle vous ne pouvez plus vous soustraire. Quand on se prend de passion pour ces beautés-là, il n’y a plus de raison pour que le feu s’éteigne. J’ai vu, à Rome, un Anglais, parti de Londres à l’âge de vingt ans avec l’intention de consacrer six mois au voyage obligé en Italie. Il a maintenant soixante ans et il se promet encore d’achever sa tournée quand il sera rassasié du séjour de Rome. J’avais déjà vu souvent en France de jeunes artistes qui parlaient de Rome avec attendrissement, comme d’une ancienne amie à laquelle on les avait arrachés par force. C’est ordinairement au bout de deux ou trois mois qu’on est subjugué. Passé cela, si la passion ne se déclare point, on ne court pas grand risque.

L’un des charmes les plus agréables des rues de Rome, c’est la quantité prodigieuse d’eau vive qui jaillit en cascades ou en gerbes au milieu des places, murmure sous les vestibules et sort de toutes les murailles. Les acquajoli établissant leurs boutiques volantes autour des bassins et laissant leurs verres en permanence sous les chutes d’eau, vous offrent des rafraîchissements d’une propreté et d’une limpidité fort engageantes. Les centimètres cubes ne sont pas comptés comme chez nous et l’eau ne coule pas à