Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/250

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les jeunes artistes se donnent le plaisir de porter des costumes en harmonie avec le genre auquel ils prétendent. A Paris ou à Londres, on n’oserait pas s’habiller comme un portrait du Titien ou de Rubens. En pays étranger, tout est permis. Vous voyez, à chaque pas, des justaucorps de velours, des chapeaux à larges bords, des manches ornées de crevés de satin blanc. Vous vous croisez avec Van-Dyck en personne ; regardez Nicolas Poussin qui lit le journal ; voici, là-bas, Vélasquez qui s’avance ; Guido Reni allume son cigare au vôtre. Ces rencontres vous flattent et, d’ailleurs, cette variété dans les toilettes anime singulièrement les cafés et les promenades.

Un mouvement considérable règne, de la porte du Peuple à l’extrémité du Corso, sur la place d’Espagne et dans la rue des Condotti ; mais si vous parcourez les quartiers lointains, vous tombez dans de véritables déserts, des séries de ruines, de ronces, des arbustes poussés au milieu des murailles écroulées, des ruelles silencieuses où le bruit de vos pas éveille en vous un sentiment profond de solitude et de mélancolie. Cela n’a rien d’étonnant si l’on songe à la disproportion qui existe entre l’étendue de la ville et le nombre de ses habitants. Pendant les premiers jours, vous aurez de la peine à surmonter votre tristesse ; mais pour de l’ennui, vous n’en éprouverez pas. Bientôt, un certain charme répandu sur ces grands débris, un ordre entier de sensations inconnues jusqu’alors, vous font peu à peu une vie nouvelle et vous pouvez prévoir à quel point ce monde nouveau vous captivera. Vous sentirez en vous deux hommes : celui de Rome et celui qui a vécu partout ailleurs. Cette impression s’augmentera, de jour en jour, par le seul avantage