Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/266

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— Est-ce que tu n’es pas content ? lui demanda le peintre.

— Basta per lei, dit le mendiant, ma per un ricco forestiere è poco.

L’avidité plaisante des Napolitains m’avait habitué à ce « c’est trop peu » qu’on ne saurait jamais éviter, quand on donnerait une piastre au lieu d’un sou ; je me mis à faire les gestes burlesques des mendiants de Naples et je répondis au pfifferaro que j’étais un povretto trop mal pourvu de danaro pour lui faire un regalio digne d’un gentilhomme si bien armé. Le drôle, voyant que je me moquais des superstitions et que je connaissais le pays des vrais et savants mendiants, me jeta un regard plus jaune que le premier et reprit sa marche paisible, en soufflant dans son fifre.

— Vous aurez du bonheur, me dit le jeune peintre, s’il ne vous arrive rien de fâcheux aujourd’hui.

— D’abord, répondis-je, il va m’arriver un bonheur puisque vous allez me raconter, pour m’endormir, l’histoire de ce birbo ; et puis nous verrons après.

J’allumai un cigare et m’étendis sur le matelas, tandis que le jeune peintre commençait, en ces termes, l’histoire du pfifferaro :

L’année dernière, ce mendiant demeurait de l’autre côté du Tibre ; au lieu d’errer dans les rues comme à présent, il se tenait auprès du pont Rotto, en face d’une petite osteria où il allait boire, chaque soir, les aumônes de la journée. Le cabaretier avait une très belle fille de quinze ans qui ne se déridait jamais, répondait aux propos galants par un soufflet