Page:De Musset - Voyage en Italie et en Sicile, 1866.djvu/265

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— J’y consens, répondis-je ; mais si vous m’éveillez à chaque mendiant qui passera, le sommeil ne nous sera pas d’un grand profit.

— Pour les autres je ne vous dérangerai pas. Celui-ci est le pfifferaro. Entendez-vous son fifre ?

— Eh bien ! quand il jouerait de la clarinette ?

— Ne plaisantez-pas. La rencontre de ce coquin porte infailliblement malheur à ceux qui ne lui donnent rien. C’est une chose connue dans le quartier. Regardez les voisins qui font pleuvoir les baïocs.

— Il paraît que le séjour de Rome vous a inoculé les superstitions populaires.

— J’aime mieux payer un faible tribut que de braver la mauvaise influence.

— Vous avez raison. Cela est prudent.

J’aperçus, par la fenêtre, un vieillard affublé de guenilles fort recherchées. Son chapeau, privé de fond, était orné d’une plume de faisan. A travers sa chemise en lambeaux, on voyait, sur sa poitrine, un collier en mosaïque. Une ardoise pendait à sa ceinture, à côté d’une fourchette de fer ; c’était sa vaisselle portative. Il avait sur le dos une besace de toile et une espèce d’épée rouillée lui battait les mollets, attachée par une ficelle rouge en manière de baudrier. Sa barbe, ses traits amaigris et une paire de sourcils longs et retroussés, lui faisaient une figure sauvage et comique, digne du crayon de Callot. Il ramassa l’offrande de mon compagnon en souriant d’un air gracieux ; mais mon baïoc n’eut pas l’avantage de lui plaire, car il me jeta un regard de travers avec des yeux jaunes comme des topazes.